LE GRAND SAUT

L’histoire qui suit est peu connue des karatéka- Elle met en scène Gishin Funakoshi et Makabe Choken Okina, un homme réputé à l’époque pour posséder une force incroyable. Issu d’une famille noble du district de Shuri, Makabe Choken Okina s’entraînait chaque jour dans la propriété familiale. Il avait à sa disposition une grande variété de matériel pour améliorer sa condition physique et il était capable de réaliser un coup de pied sauté d’une grande ampleur. Makabe était très respecté mais de nombreux jeunes gens un peu fougueux le provoquaient pour se mesurer à lui. L’un des ces hommes un peu téméraires fut le jeune Funakoshi. Il avait déjà la réputation d’un homme brave et vigoureux pour avoir renversé sur le sol un taureau de combat en le saisissant par les cornes.

La confrontation eut lieu à l’intérieur de la propriété de Makabe. Avant le combat, plusieurs juges ainsi qu’une bande de jeunes un peu excités s’étaient rassemblés dans la cour pour observer l’engagement. En premier lieu, les deux adversaires devaient démontrer leur force en soulevant une pierre de 90 kilos environ . Makabe sans beaucoup d’effort fit vingt tractions assez rapides au dessus de sa tête avant de reposer la pierre sur le sol comme si de rien n’était. Les spectateurs restèrent sans réactions car il savaient que c’était là son travail quotidien. Quand vint le tour de Funakoshi de soulever le poids, il y eut un grand silence. En effet celui-ci n’était pas très familier de ce genre de matériel et il prit son temps. Cependant il réussit à soulever la pierre autant de fois que son adversaire. La foule était stupéfaite par la puissance de ce petit bonhomme et clama immédiatement son enthousiasme.

Ensuite vint le chikarabo, un exercice pour mesurer sa force, son équilibre et sa dextérité. Le principe consiste à attacher un bo (bâton) au niveau du tanden entre les deux adversaires . Ceux-ci en le tenant à deux mains doivent déséquilibrer leur rival. Chacun doit pousser l’autre tout en gardant une posture souple. Après une heure de joute sans résultat, le juge fit changer la positions des combattants. Là encore ils poussèrent vigoureusement mais sans résultat. Finalement on déclara le match nul pour clore l’épreuve. Malgré sa petite taille Funakoshi avait vaillamment résisté à Makabe. Après la pause, l’épreuve suivante allait être déterminante pour la compétition.

Les protagonistes se mirent d’accord pour tester leur tobigeri (coup de pieds sauté). Le lieu de l’épreuve changea de la cour de la propriété pour la maison des hôtes.

Voué depuis l’enfance à une vie de budo, Makabe avait développé une grande habilité à courir et à sauter. Ainsi, lorsqu’il rentrait tard dans la nuit, il s’amusait à franchir d’un bond les murs de pierres qui entouraient la maison afin de ne pas déranger sa famille. Makabe était d’un physique imposant et puissant, mais visiblement Funakoshi ne s’en souciait guère, s’accrochant à l’idée que la force et la volonté sont suffisantes pour vaincre. Comme il avait égalé jusqu’à présent Makabe dans les épreuves de force, il était prêt à l’affronter sur le terrain des techniques martiales.

Makabe commença et se mit en position pour délivrer son coup de pied. Levant calmement les yeux vers le plafond, il bondit très haut en libérant un kiai puissant. Jamais personne n’avait vu un tel saut. Il reprit contact avec le sol dans une élégante posture. Alors que les spectateurs restaient sans voix, l’empreinte du pied de Makabe était clairement dessinée sur le plafond, rappelant à chacun l’incroyable saut dont il venait d’être témoin. Quand vint le tour de Funakoshi, il était évident qu’il était dépassé. N’ayant jamais vu, tout au long de sa vie une technique sautée aussi puissante, il comprit qu’il avait encore beaucoup de choses à apprendre. Malgré tout, il essaya de refaire ce qu’il venait de voir et en dépit des conseils amicaux de Makabe, il retomba lourdement sur la nuque et perdit connaissance.

Quand il revint à lui, il réalisa qu’il avait été battu et demanda à Makabe de devenir son professeur.

Shoshin Nagamine qui rapporte cette histoire, estime que la hauteur du plafond était de quatre mètres environ.

D’après shoshin Nagamine in « légendes des grands maîtres d’Okinawa »